Freud et le malaise dans la civilisation
Sigmund Freud, dans son ouvrage Malaise dans la civilisation (1930), met en évidence les tensions inhérentes à la condition humaine dans une société organisée. Il écrit :
« La vie, telle qu’elle nous est imposée, est trop dure pour nous, elle nous apporte trop de douleurs, de déceptions et de tâches insolubles. Pour la supporter, nous ne pouvons pas nous passer de moyens palliatifs. »
Selon lui, les individus doivent réprimer leurs pulsions naturelles pour maintenir l’ordre social. Cette répression, bien qu’essentielle à la vie en société, engendre une frustration profonde, un état qu’il qualifie de « malaise ». Ce malaise se situe au cœur de notre quête de transcendance et est aujourd’hui capté par les mécanismes du capitalisme moderne. Je souhaite explorer ici les concepts-clés de Freud à travers leur articulation avec la vidéo citée, tout en justifiant les limites qu’elle laisse apparaître. En nous appuyant sur les notions freudiennes de pulsion, de sublimation et de mécanismes de défense, nous verrons comment le capitalisme détourne notre besoin fondamental de transcendance pour alimenter un cycle infini de consommation.
Le rôle des pulsions dans la civilisation
Freud distingue deux grandes catégories de pulsions : les pulsions de vie (Eros) et les pulsions de mort (Thanatos). Ces concepts sont développés notamment dans Au-delà du principe de plaisir (1920), où Freud explique comment ces forces opposées structurent nos comportements et nos conflits internes (voir chapitres III et IV). Ces forces opposées régissent nos comportements et sont, selon Freud, au centre des conflits internes de l’être humain.
Dans le cadre de la civilisation, les pulsions doivent être « réglementées » par des structures sociales et culturelles, ce qui impose une forme de renoncement à la satisfaction immédiate. Pour Freud, cette répression des pulsions n’est pas sans conséquences. Elle crée un décalage entre le désir profond de l’individu et les contraintes imposées par le collectif. Ce décalage est la source du « malaise dans la civilisation », un état de tension permanente où l’individu cherche des stratégies pour compenser ce manque. Dans la vidéo citée, il est suggéré que le capitalisme exploite ces tensions en orientant les individus vers la consommation de biens matériels comme moyen d’apaisement. Une telle lecture est en résonance avec la vision freudienne, mais elle mérite d’être approfondie pour mieux comprendre comment ce mécanisme s’opère.
La sublimation : une issue détournée par le capitalisme
La sublimation est, selon Freud, un processus par lequel les pulsions énergétiques sont redirigées vers des activités socialement acceptées. Comme il le décrit dans Introduction à la psychanalyse :
« La sublimation est une manière de faire passer des motions pulsionnelles à un niveau plus élevé, en remplaçant les buts sexuels par des buts socialement valorisés, souvent de nature culturelle ou artistique. »
Elle permet de transformer des désirs bruts en créations culturelles, artistiques ou spirituelles. Dans les sociétés précapitalistes, ce processus était souvent canalisé par les pratiques religieuses ou les rituels communautaires. Ces espaces offraient une forme de transcendance en élevant les individus au-delà de leur condition individuelle. Le capitalisme, cependant, détourne ce mécanisme en le réorientant vers des objectifs matériels. Les publicités, par exemple, promettent des sensations de plénitude ou de bonheur par l’acquisition de biens. Pourtant, une fois l’objet consommé, la satisfaction éprouvée est éphémère, alimentant ainsi un cycle sans fin de frustration et de consommation. Ce phénomène peut être mis en parallèle avec ce que Marcuse, dans Eros et civilisation (1955), nomme la « désublimation répressive » : le capitalisme libère les pulsions, mais dans un cadre contrôlé qui perpétue l’aliénation.
La frustration et le fétichisme de la marchandise
Freud élabore également sur la manière dont la frustration peut conduire à des formes de compulsion. Dans le capitalisme, cette compulsion se manifeste par le « fétichisme de la marchandise », un concept que Karl Marx avait déjà identifié au XIXᵉme siècle. Freud et Marx, bien que travaillant sur des paradigmes différents, se rejoignent dans leur critique des dérives sociétales. Dans une société consumériste, chaque produit est présenté comme porteur d’une promesse symbolique.
Ce phénomène est intimement lié au « fétichisme de la marchandise », tel que décrit par Karl Marx dans Le Capital (1867), où la valeur d’échange des objets masque leur valeur d’usage et confère une aura quasi mystique aux produits. Freud, bien que centré sur les dynamiques psychologiques, rejoint cette critique en étudiant comment des objets deviennent les supports symboliques d’une promesse de satisfaction inatteignable, alimentant ainsi un désir perpétuel. Acheter un objet devient alors un acte qui transcende sa simple fonction utilitaire, incarnant des idéaux tels que la liberté, le prestige ou le bonheur. Toutefois, cette promesse reste toujours incomplète, obligeant l’individu à chercher encore et encore. La vidéo soulève un point crucial : cette dynamique est structurelle et non accidentelle. Elle constitue le cœur du capitalisme, qui prospère sur la perpétuation du désir insatisfait.
Vers une critique freudienne du capitalisme
La vidéo propose une critique radicale du capitalisme en tant que système qui exploite les besoins humains les plus profonds. En mobilisant Freud, cette analyse nous permet de comprendre pourquoi ce système est particulièrement efficace. En effet, le capitalisme ne fait pas que réprimer nos pulsions ; il les redirige vers des voies qui servent ses propres intérêts. Ce déplacement des besoins spirituels vers des objets matériels alimente une forme d’aliénation totale, où les individus sont prisonniers d’une cage dorée. Pour sortir de cette impasse, il serait pertinent d’envisager une redéfinition de la transcendance dans une société désacralisée. Comme le souligne Mircea Eliade dans Le Sacré et le Profane (1956),
« L’homme moderne a en grande partie perdu la capacité de vivre une expérience authentique du sacré, mais son besoin de transcendance persiste. »
Cette redéfinition pourrait s’inspirer des rituels anciens qui, selon Eliade, « créaient un pont entre le monde profane et une dimension sacrée, permettant ainsi une véritable connexion avec le sens profond de l’existence. » Freud lui-même n’était pas hostile à l’idée que les êtres humains puissent trouver des formes alternatives de sublimation, plus épanouissantes et moins aliénantes. Il nous appartient alors de réfléchir à la manière dont nous pouvons réorienter notre quête de sens au-delà des promesses illusoires du marché.
Réapprendre à sublimer
En mobilisant les concepts freudiens, nous avons vu comment le capitalisme détourne notre besoin de transcendance pour alimenter une économie fondée sur la consommation perpétuelle. Toutefois, cette analyse ne doit pas nous laisser dans le désespoir. Au contraire, elle ouvre la voie à une réflexion sur les moyens de réenchanter le monde sans retomber dans les dogmes du passé. Freud nous rappelle que la sublimation est un outil puissant, capable de transformer nos pulsions en créations positives. Ainsi, en reconnaissant les mécanismes à l’œuvre dans notre société, nous pouvons commencer à construire un avenir où nos besoins de transcendance ne sont plus exploités, mais honorés de manière authentique et libératrice. Cette réflexion ouvre également la porte à des opportunités d’apprentissage et de transformation personnelle. Pourquoi ne pas approfondir ces concepts en participant à une formation ou en engageant une discussion autour de sujets tels que la critique du capitalisme, la sublimation ou le rôle du sacré dans nos vies modernes ? Que ce soit cette formation ou une autre, chaque pas vers une meilleure compréhension de notre monde est une étape vers une liberté véritable et éclairée. Prenez le temps d’explorer, de questionner et de vous engager – votre parcours de réflexion commence ici.